Quand l’homme redessine la mer : les impacts des aménagements sur le trait de côte

Par Lei BRUSCADOU

Les plages qui disparaissent, les lagunes qui s’envasent, les digues qui fissurent, les ports qui s’étendent… tout cela a un point commun : l’aménagement humain du littoral. Depuis des décennies, notre relation avec la mer est marquée par un besoin de contrôle. On construit, on protège, on gagne du terrain. Mais à force de vouloir maîtriser la nature, on finit parfois par la déséquilibrer.

Dans des zones fragiles comme la lagune du Brusc, ces transformations peuvent avoir des conséquences profondes, parfois invisibles à l’œil nu, mais bien réelles pour les espèces qui y vivent, comme les hippocampes.


Le trait de côte, un équilibre naturel

Le trait de côte, c’est la ligne où la mer rencontre la terre. Ce n’est pas une ligne fixe : il bouge naturellement, au rythme des vagues, du vent, des tempêtes et des sédiments. C’est un équilibre dynamique, où chaque élément joue un rôle : les dunes, les plages, les herbiers sous-marins, les courants côtiers, les zones humides…

Mais cet équilibre est fragile. Quand l’homme intervient — en construisant une digue, en bétonnant une rive, en installant un port — il modifie ce système en chaîne.


Des impacts en cascade

Prenons quelques exemples concrets :

  • Construction de ports et de digues : ces infrastructures coupent les courants marins, modifient la circulation des sables, provoquent l’érosion de certaines plages et l’accumulation de vase ailleurs.
  • Artificialisation des berges : en remplaçant les rives naturelles par du béton, on supprime des habitats essentiels pour les poissons, crustacés et végétaux.
  • Dragage et remblaiement : ces opérations de “nettoyage” des fonds modifient les profondeurs, remuent les sédiments, et peuvent détruire les herbiers ou les habitats benthiques.
  • Rejets d’eaux usées ou pluviales : ils peuvent altérer la qualité de l’eau, provoquer une eutrophisation (prolifération d’algues) et étouffer les herbiers.

Et la lagune du Brusc dans tout ça ?

La lagune du Brusc est un petit miracle de biodiversité, mais aussi un territoire qui subit depuis longtemps les pressions liées à l’aménagement côtier. Depuis les années 60, on y a vu se développer des infrastructures touristiques, un port de plaisance, des constructions en bordure… Résultat : la dynamique naturelle de la lagune a été profondément transformée.

Aujourd’hui, certaines zones s’ensablent ou s’envasent, les herbiers marins reculent, et les conditions de vie pour des espèces sensibles comme l’hippocampe se détériorent. Là où l’on trouvait autrefois des zones calmes et riches en vie, on trouve parfois des eaux stagnantes, pauvres en oxygène.


Les hippocampes, premières victimes invisibles

Les hippocampes sont des animaux extrêmement sensibles à la qualité de leur habitat. Ils ont besoin d’eau claire, peu agitée, riche en végétation, avec peu de variation de salinité ou de température. Les modifications du trait de côte ont donc des effets directs sur leur présence ou leur absence.

À mesure que les aménagements ont transformé la lagune, les populations d’hippocampes ont décliné. Moins d’herbiers, plus de pollution, plus de sédiments en suspension : autant de facteurs qui rendent leur vie difficile, voire impossible.


Restaurer l’équilibre : une urgence locale

Face à ce constat, notre association Lei Bruscadou s’est donné pour mission de restaurer les équilibres naturels de la lagune. Cela passe par :

  • La replantation d’herbiers marins, notamment de cymodocées, qui fixent les fonds et offrent un habitat à de nombreuses espèces.
  • Des actions de sensibilisation pour limiter le piétinement, le mouillage sauvage ou les rejets polluants.
  • La promotion d’une cohabitation plus douce entre l’homme et la nature, en valorisant des pratiques nautiques respectueuses de l’environnement.

En restaurant les fonctions naturelles du trait de côte, on redonne à la lagune ses capacités de résilience. Et on crée à nouveau les conditions pour que les hippocampes puissent revenir s’y installer.


Un avenir à repenser ensemble

Il ne s’agit pas de tout arrêter ou de revenir en arrière. Il s’agit de mieux penser nos aménagements, en intégrant les contraintes écologiques. Il existe des solutions “douces” : digues végétalisées, ports écologiques, reconquête des zones humides, restauration des dunes…

Ces projets existent ailleurs en Méditerranée, et la lagune du Brusc pourrait devenir un modèle de transition : un site où l’homme et la nature cohabitent, où les aménagements sont pensés avec les écosystèmes, et non contre eux.


Un regard nouveau sur le littoral

Quand vous vous promenez sur les bords de la lagune, que vous admirez les reflets sur l’eau, ou que vous observez les oiseaux posés sur un îlot, souvenez-vous : ce paysage n’est pas immobile. Il évolue. Et chaque choix que nous faisons — urbanisme, tourisme, loisirs — influence cette évolution.

Protéger le trait de côte, c’est protéger tout ce qui en dépend : poissons, algues, herbiers, hippocampes… mais aussi notre qualité de vie, notre patrimoine naturel, et la beauté d’un site unique comme le Brusc.