Laisse de mer et banquettes de posidonies : trésors invisibles de la lagune du Brusc

Chaque été, les promeneurs qui arpentent les abords de la lagune du Brusc peuvent être surpris, voire rebutés, par la présence d’épaisses couches de feuilles brunes entassées sur le rivage. Ce que beaucoup appellent à tort des « algues mortes » sont en réalité des banquettes de posidonies, issues de la laisse de mer. Peu esthétiques à première vue, parfois odorantes, ces accumulations naturelles sont souvent mal comprises… et injustement accusées de gâcher le paysage.
Et pourtant, elles sont absolument essentielles à l’équilibre de nos littoraux. Dans la lagune du Brusc comme ailleurs, elles protègent le rivage, nourrissent une multitude d’espèces, et témoignent de la bonne santé de l’écosystème sous-marin. Alors, la prochaine fois que vous les verrez, prenez un instant pour observer… et comprendre.
La laisse de mer : une frontière vivante entre terre et mer
La laisse de mer, c’est cette bande de débris naturels laissée par les vagues à marée haute. Elle est composée de fragments de coquillages, bois flotté, algues, mais surtout, en Méditerranée, de feuilles mortes de posidonies (Posidonia oceanica), une plante marine protégée. En s’accumulant, ces feuilles forment ce qu’on appelle des banquettes.
À la lagune du Brusc, ces banquettes sont fréquentes, notamment en automne et en hiver, lorsque la mer rejette les feuilles mortes de posidonie arrachées naturellement. Et c’est une excellente nouvelle : cela signifie que des herbiers de posidonies sont bien présents et en bonne santé au large de la lagune.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la présence de ces banquettes ne signe pas la mort de l’écosystème, mais bien sa vitalité.
Une protection naturelle contre l’érosion
L’un des rôles majeurs de ces banquettes est la protection du littoral. En formant un coussin naturel sur la plage, les feuilles mortes de posidonies absorbent l’énergie des vagues et limitent l’érosion du sable. Elles agissent comme une barrière souple mais résistante, qui ralentit le retrait du trait de côte.
Dans la lagune du Brusc, où la configuration géographique rend certaines zones particulièrement sensibles à l’érosion, les banquettes jouent un rôle crucial. Là où elles sont retirées pour des raisons esthétiques ou touristiques, les effets sont visibles : le sable recule, les berges s’affaissent, et l’écosystème côtier se déstabilise.
Préserver ces accumulations naturelles, c’est donc préserver l’intégrité des plages et des rives lagunaires.
Un habitat discret mais essentiel
Ce n’est pas parce qu’on ne voit rien… qu’il n’y a rien. Les banquettes de posidonie abritent en réalité une vie foisonnante, souvent invisible à l’œil nu. Invertébrés, petits crustacés, larves d’insectes, vers marins… Ce sont des garde-mangers vivants pour de nombreuses espèces côtières et marines.
Les oiseaux de rivage, par exemple, viennent y chercher leur nourriture. Certains poissons y fraient à proximité. Et de nombreux micro-organismes trouvent dans ces amas de feuilles un abri temporaire, à l’interface entre mer et terre.
Autour de la lagune du Brusc, ces banquettes jouent aussi un rôle de zone tampon, entre l’eau douce issue des apports terrestres et l’eau salée de la Méditerranée. Elles permettent ainsi l’échange de nutriments, le développement d’une microfaune spécifique, et soutiennent la chaîne alimentaire locale, y compris celle qui nourrit les hippocampes.
Une perception à changer
La difficulté avec la laisse de mer, c’est qu’elle est souvent jugée avec nos yeux d’humains : on la trouve sale, désagréable, “pas jolie pour la plage”. Beaucoup de communes, soucieuses de plaire aux touristes, cèdent à la tentation de la retirer régulièrement à la pelle mécanique ou manuellement. Mais cette pratique est non seulement inutile, mais aussi contre-productive.
À Six-Fours-les-Plages, la lagune du Brusc fait figure d’exception grâce à une prise de conscience locale grandissante. Les associations de protection de la lagune ont mené un important travail de sensibilisation, pour expliquer la valeur écologique de ces banquettes, et ont convaincu la mairie de préserver la laisse de mer dans les zones sensibles.
« Ce n’est pas du désordre naturel, c’est de la richesse écologique », expliquent les membres d’une association environnementale locale.
Apprendre à cohabiter
Préserver la laisse de mer ne signifie pas interdire l’accès à la plage, mais adapter les usages humains. Par exemple :
- Laisser en place les banquettes sur certaines plages naturelles, en les signalant avec des panneaux pédagogiques ;
- Aménager des chemins d’accès balisés pour que les promeneurs puissent profiter du site sans marcher dessus ;
- Intégrer la laisse de mer dans les visites guidées ou les animations nature, pour la faire découvrir autrement.
À la lagune du Brusc, ces pratiques permettent déjà de changer les regards, surtout chez les enfants et les visiteurs curieux. L’idée n’est pas de forcer, mais de faire comprendre que la beauté de la nature ne réside pas uniquement dans ce qui est propre, plat et ordonné.
Voir au-delà de l’apparence
La laisse de mer, comme les herbiers sous-marins ou les terriers de micro-crustacés, fait partie de cette nature qu’on ne voit pas toujours, ou qu’on ne comprend pas tout de suite. Mais elle est là, précieuse, indispensable.
Dans la lagune du Brusc, chaque feuille de posidonie morte raconte l’histoire d’un écosystème en action. Chaque morceau de bois flotté, chaque coquillage rejeté sur le sable, témoigne d’une vie qui se poursuit, d’un cycle qui se régule.
Alors la prochaine fois que vous marcherez sur la plage et que vous croiserez ces amas naturels, ne détournez pas les yeux : regardez, écoutez, respectez. Parce que protéger ce qu’on voit peu, c’est souvent sauver ce qui compte le plus. 🌊