La saupe : trop gourmande pour la lagune du Brusc

Avec ses rayures dorées, son regard calme et ses bancs paisibles, la saupe (Sarpa salpa) est souvent perçue comme un poisson sympathique, emblématique des eaux méditerranéennes. On l’observe facilement dans les herbiers côtiers, et elle est bien présente… parfois trop présente, comme c’est le cas dans la lagune du Brusc.
Un poisson facilement identifiable
De forme ovale, argentée avec de fines lignes dorées horizontales, la saupe est un poisson qui attire facilement le regard. Elle mesure en général entre 20 et 35 cm, et nage en bancs serrés, souvent juste sous la surface ou à mi-profondeur, au-dessus des herbiers de posidonie ou de cymodocée.
Elle est observable :
- Depuis la corniche, par temps calme,
- Ou à plat ventre sur un paddle, sans bruit, en suivant les bordures végétales de la lagune.
(Le snorkeling et la baignade sont interdits dans la lagune du Brusc, afin de protéger son écosystème fragile.)
Une végétarienne très active
La saupe est un poisson herbivore, ce qui est relativement rare chez les poissons marins. Elle se nourrit :
- De feuilles de posidonie,
- D’algues,
- Et de cymodocée, cette autre plante marine présente dans la lagune.
Elle passe ses journées à brouter, à la manière d’un petit mouton des mers. En quantité raisonnable, elle joue un rôle utile dans l’écosystème, en participant à l’entretien des herbiers et en limitant l’excès d’algues. Mais quand elle devient trop abondante, cet équilibre se rompt.
Un déséquilibre préoccupant dans la lagune du Brusc
Dans la lagune du Brusc, les saupes sont devenues trop nombreuses. Pourquoi ?
- Il manque de prédateurs naturels, comme les gros mérous ou les loups adultes, qui ont quasiment disparu des eaux intérieures.
- La pêche, bien que réduite, cible rarement la saupe, qui est peu consommée en raison de risques de toxicité.
- Leur reproduction est rapide et leur présence en bancs massifs augmente leur capacité à coloniser toutes les zones végétales de la lagune.
Ce déséquilibre a des conséquences directes sur les efforts de restauration écologique :
Les jeunes pousses de cymodocée plantées par notre association Lei Bruscadou sont broutées trop tôt par les saupes, ce qui empêche leur enracinement. Malgré des techniques de transplantation soigneusement élaborées, ces petites plantes marines n’ont pas le temps de se développer.
Le projet de restauration des herbiers, essentiel à la biodiversité de la lagune, est donc fortement compromis.
Une jolie présence… devenue un problème
Il ne faut pas diaboliser la saupe : elle n’est pas “mauvaise” en soi. C’est un animal paisible, aux comportements intéressants :
- Elle vit en bancs organisés,
- Se déplace avec agilité entre les herbiers,
- Et montre peu de crainte envers les humains.
Mais le déséquilibre écologique actuel en fait une espèce qui domine sans partage certaines zones. Là où la saupe broute sans relâche, les autres espèces végétales peinent à se maintenir. Cela appauvrit la diversité, réduit les abris pour les juvéniles de poissons, et ralentit la régénération naturelle.
Pourquoi il faut restaurer l’équilibre
Notre association Lei Bruscadou travaille depuis plusieurs années à protéger et restaurer les herbiers de la lagune, en particulier la cymodocée, qui joue un rôle fondamental :
- Elle stabilise les fonds sableux,
- Filtre les particules fines,
- Offre un habitat aux poissons juvéniles,
- Et absorbe le carbone, ce qui aide à lutter contre le réchauffement climatique.
Mais pour que ces efforts soient efficaces, il faut aussi agir sur les causes du déséquilibre, notamment :
- En encourageant la présence de prédateurs naturels,
- En repensant les zones de pêche autour de la lagune,
- Et peut-être en expérimentant des zones de plantation protégées temporairement par des filets anti-broutage.
Une beauté fragile, à gérer avec intelligence
La saupe fascine par son élégance, sa nage fluide et son rôle particulier dans l’écosystème marin. Mais dans un environnement aussi fermé et sensible que la lagune du Brusc, il faut veiller à ne pas laisser une seule espèce prendre trop de place.
Chaque observation de bancs de saupes doit nous interroger : sommes-nous face à une biodiversité riche, ou à un signe de déséquilibre ? C’est là toute la subtilité du travail de préservation écologique.
Alors, la prochaine fois que vous apercevez une saupe broutant paisiblement entre les herbiers, admirez-la… mais pensez aussi à ce qu’elle révèle de l’état de notre lagune, et des efforts nécessaires pour lui rendre son équilibre naturel.