Ce que nous avons oublié – L’amnésie générationnelle et la lagune du Brusc

Et si ce que nous considérons aujourd’hui comme “normal” n’était en fait que l’ombre d’un passé oublié ? Et si, à force de perdre des morceaux de nature, nous avions perdu aussi la mémoire de ce qu’était vraiment la mer ?
Ce phénomène porte un nom : l’amnésie générationnelle. Et il explique pourquoi, parfois sans même nous en rendre compte, nous acceptons des environnements appauvris comme des états “normaux”.
La lagune du Brusc, pourtant si vivante, n’échappe pas à ce glissement silencieux.
Une mémoire qui s’efface à chaque génération
L’amnésie générationnelle, c’est le fait que chaque génération considère l’état du monde de son enfance comme “le point de départ”. Si la mer paraît vide à nos grands-parents, on dira qu’elle est “encore pleine” à nos yeux, car nous avons grandi avec encore moins de poissons, encore moins d’herbiers, encore moins d’oiseaux.
Ainsi, ce qui est une perte pour une génération devient une norme pour la suivante. Et on ne se bat plus pour ce qu’on ne sait même plus avoir perdu.
Le choc du passé : Cousteau au Brusc en 1942
Il existe pourtant des images précieuses qui nous réveillent la mémoire. Parmi elles, un film devenu historique : « Par 18 mètres de fond », tourné en 1942 par le commandant Jacques-Yves Cousteau, juste ici, dans les eaux du Brusc.
Dans ce court-métrage, on assiste à une scène de chasse sous-marine entre amis. En une heure à peine, un plongeur récolte… plus de 100 kg de poissons. Et pas n’importe lesquels :
- Denti, mérous, barracudas, loups de mer : de véritables super-prédateurs, aujourd’hui quasi invisibles dans la région.
- Des poissons adultes, impressionnants, qui témoignent d’un écosystème encore riche et équilibré.
Ces images sont spectaculaires — et choquantes. Car ce qu’on y voit n’existe plus aujourd’hui.

Et aujourd’hui ?
Lorsque nous plongeons aujourd’hui dans la lagune ou ses abords, nous sommes heureux de croiser un sar, un petit loup, un poulpe juvénile. Nous les appelons « gros » parce que ce sont les plus grands que nous ayons l’habitude de voir.
Mais si nous les montrions au Commandant Cousteau en 1942, il les aurait peut-être qualifiés de “petits”, ou à peine dignes d’intérêt.
C’est ça, l’amnésie générationnelle : nous ne mesurons plus ce que nous avons perdu. Nous croyons que la mer est comme elle a toujours été, alors qu’en réalité, elle s’est appauvrie sous nos yeux, lentement, silencieusement.
Pourquoi cette amnésie est dangereuse
Ce glissement de perception est insidieux, car il affaiblit notre motivation à protéger la nature. Si l’on croit que tout est “normal”, on ne se bat plus pour restaurer ce qui a disparu.
On entend souvent :
“Mais il y a encore des poissons !”
“Regarde, il y a plein de petits !”
“C’est comme ça la Méditerranée, non ?”
Et pourtant… non, ce n’était pas comme ça.
Ce que nous pouvons faire à la lagune du Brusc
Heureusement, reprendre conscience, c’est déjà recommencer à agir.
À Lei Bruscadou, nous avons fait de cette prise de conscience une priorité. En nous appuyant sur :
- Les archives et les témoignages (comme le film de Cousteau)
- Les observations scientifiques sur la baisse des super-prédateurs
- Les actions de terrain pour restaurer les habitats dégradés (herbiers, zones de frayère)
- Et la sensibilisation des visiteurs, pour transmettre la mémoire écologique du lieu
Nous voulons montrer que la lagune peut redevenir un sanctuaire, un espace riche, avec des poissons adultes, une biodiversité abondante, une nature vivante — comme elle l’était autrefois.
Reconnecter avec la mémoire de la mer
📽️ Regarder les images de 1942, c’est voir ce que la mer était capable d’offrir.
🐟 Observer la lagune aujourd’hui, c’est comprendre ce qu’elle pourrait redevenir.
🧠 Transmettre la mémoire écologique, c’est résister à l’oubli, et refuser l’idée que la nature se résume à ce qu’il nous reste.
En résumé
🧠 L’amnésie générationnelle fait croire que l’état actuel de la nature est “normal”
🎞️ Le film de Cousteau tourné au Brusc en 1942 montre une mer bien plus riche qu’aujourd’hui
🐟 Les super-prédateurs ont disparu de la lagune, remplacés par des juvéniles
📉 Nous avons baissé nos standards sans nous en rendre compte
💪 Restaurer la mémoire écologique est un acte essentiel pour agir et protéger
Alors la prochaine fois que vous verrez un poisson de taille modeste et penserez “il est gros, celui-là !”, imaginez-le aux côtés d’un mérou de 20 kg, d’un banc de loups massifs, ou d’un barracuda de 1,20 m. C’est cela que la lagune du Brusc a connu. Et c’est cela que nous pouvons espérer retrouver, si nous n’oublions pas.