Le serran chevrette, le petit poisson curieux et coloré de la lagune du Brusc

Parmi les nombreux petits habitants qui peuplent la lagune du Brusc, le serran chevrette (Serranus cabrilla) mérite qu’on s’y attarde. Petit poisson coloré et discret, il vit à l’entrée de la lagune et dans ses zones les plus rocheuses. On peut l’observer depuis la corniche du Brusc ou, pour les plus curieux, en se mettant à plat ventre sur un paddle, le nez au ras de l’eau. Car dans cette lagune protégée, la baignade et le snorkeling sont interdits, pour préserver la tranquillité des espèces et limiter l’impact humain.
Une allure élégante et des couleurs marquées
Même s’il mesure rarement plus de 20 à 25 cm, le serran chevrette attire l’œil par sa robe typique, ornée :
- de rayures rouges et orangées qui courent le long de son corps beige ou brun clair,
- d’une tache noire sur l’arrière de la nageoire dorsale, très reconnaissable.
Il vit généralement près des rochers ou des herbiers, là où il peut se cacher dans les cavités ou s’immobiliser à l’ombre d’un caillou. Dans la lagune du Brusc, on le retrouve surtout près de l’entrée sud, vers l’île du Gaou, où les fonds sont plus propices à ses habitudes.
Un petit curieux pas farouche
Contrairement à d’autres poissons méditerranéens très craintifs, le serran chevrette est souvent peu farouche. Il n’est pas rare qu’il s’approche doucement d’un paddle ou reste immobile sous la surface, intrigué par les mouvements au-dessus de lui.
Sa nature territoriale le pousse à défendre une petite zone qu’il connaît bien. Il y chasse des proies minuscules comme :
- des petits crustacés,
- des vers,
- de jeunes mollusques.
Si vous prenez le temps d’observer, notamment en fin de matinée quand la lumière pénètre bien l’eau, vous aurez peut-être la chance de le repérer, immobile ou en train de zigzaguer doucement entre les herbiers.
Un as de la reproduction… en duo
Le serran chevrette a une particularité biologique étonnante : il est hermaphrodite synchrone. Cela signifie que chaque individu possède à la fois des organes mâles et femelles actifs en même temps. Lorsqu’il rencontre un congénère, il peut donc s’accoupler en échangeant les rôles : une fois “mâle”, une fois “femelle”.
Cette stratégie, rare chez les poissons, est très efficace dans des environnements où les partenaires sont peu nombreux. Elle permet à l’espèce de se reproduire facilement, même dans des habitats restreints comme une petite crique ou une zone de lagune.
Une sentinelle de la santé des habitats
Le serran chevrette est un excellent indicateur de la qualité du milieu marin. Il a besoin :
- d’eau bien oxygénée,
- d’un habitat structuré (rochers, herbiers de posidonie, cavités),
- et d’un bon équilibre trophique (présence de proies).
Sa présence dans la lagune du Brusc, notamment aux abords du Gaou, est donc un bon signe. Elle témoigne d’une certaine préservation des milieux littoraux.
Mais c’est aussi un signal d’alerte : si les aménagements côtiers, la surfréquentation ou la pollution affectent trop fortement son habitat, il sera l’un des premiers à disparaître.
Une espèce à protéger de la pression humaine
Même s’il n’est pas pêché activement, le serran chevrette subit les effets de la fréquentation estivale :
- piétinement des herbiers,
- passages répétés de paddles et kayaks dans les zones calmes,
- bruit, déchets, et parfois rejet d’eaux usées.
C’est pour cela que l’association Lei Bruscadou, en lien avec la commune, milite pour canaliser les usages, poser des ganivelles, favoriser les mises à l’eau depuis les pontons et sensibiliser les visiteurs à une observation respectueuse de la nature.
Comment l’observer sans le déranger ?
Dans la lagune du Brusc, il est tout à fait possible d’observer le serran chevrette sans jamais mettre un orteil dans l’eau. Voici quelques conseils :
- Installez-vous sur la corniche, aux endroits surélevés et calmes, et observez la surface de l’eau avec une bonne lumière.
- Si vous êtes en paddle, mettez-vous à plat ventre, avec des lunettes polarisantes ou un masque posé au ras de l’eau pour voir sous la surface.
- Ne jetez rien dans l’eau, ne touchez pas les herbiers, et ne tentez jamais d’attraper les poissons.
L’idée, c’est de regarder sans impacter, et de se laisser surprendre par la vie discrète qui s’y cache.
Un ambassadeur discret des petits fonds côtiers
Le serran chevrette n’a pas la notoriété de l’hippocampe ni la puissance d’un prédateur comme le loup, mais il joue un rôle essentiel dans l’écosystème :
- Il régule les petites populations de proies,
- Sert de nourriture à de plus gros poissons,
- Et reflète l’état de santé des zones côtières.
Observer un serran chevrette, c’est se reconnecter à une nature méditerranéenne encore vivante, encore belle, mais fragile et menacée.
Et cela ne demande rien de plus que de la patience, du respect… et un regard attentif depuis la surface.