Le serran chevrette, le petit poisson curieux et coloré de la lagune du Brusc

Par Lei BRUSCADOU

Au cœur des eaux calmes et peu profondes de la lagune du Brusc, un petit poisson aux couleurs chatoyantes attire l’attention des plongeurs et des amoureux de la biodiversité : le serran chevrette (Serranus cabrilla). Moins connu que les gros poissons méditerranéens, ce petit serran n’en est pas moins un formidable ambassadeur des fonds côtiers, tant par son comportement que par sa beauté discrète.

Présent dans la lagune, souvent près des rochers ou des herbiers, il fait partie de ces espèces qui méritent toute notre attention et notre respect.


Une petite taille mais une grande prestance

Le serran chevrette est un poisson de taille modeste – généralement entre 10 et 25 cm – mais il arbore une robe élégante et caractéristique :

  • Un corps allongé, légèrement comprimé
  • Une livrée brun orangé parsemée de rayures longitudinales rouges et bleues
  • Une tache noire distinctive à l’arrière de la nageoire dorsale

Son apparence lui vaut le surnom de « chevrette », probablement en raison de sa vivacité et de sa façon de se faufiler rapidement entre les rochers, comme une petite crevette agile.

Dans la lagune du Brusc, il affectionne les zones rocheuses, les fonds sableux proches des herbiers de posidonie, et les anfractuosités qui lui servent de cachette.


Un comportement curieux et peu farouche

Contrairement à d’autres poissons très méfiants, le serran chevrette est souvent curieux. Les plongeurs ou nageurs l’aperçoivent fréquemment immobile à l’entrée d’une cavité ou nageant lentement, observant son environnement.

C’est un poisson territorial, qui défend une petite zone qu’il connaît parfaitement. Il y chasse des petites proies :

  • Crustacés
  • Vers
  • Mollusques
  • Alevins

Mais sa particularité comportementale la plus étonnante est d’ordre… sexuel !


Un hermaphrodite surprenant

Le serran chevrette est ce qu’on appelle un hermaphrodite synchrone : chaque individu possède à la fois des organes mâles et femelles actifs en même temps. Ce qui veut dire que deux individus peuvent s’accoupler en échangeant leurs rôles sexuels, en alternance.

C’est une stratégie très efficace pour une espèce peu abondante dans certaines zones : n’importe quelle rencontre entre deux adultes peut mener à une reproduction. Une merveille de la nature !

Ce type de reproduction, peu courant, est étudié de près par les biologistes car il permet de mieux comprendre l’évolution des comportements reproductifs chez les poissons.


Une sentinelle de l’état écologique

Parce qu’il est sédentaire, le serran chevrette est un excellent indicateur de la qualité de l’habitat. Sa présence dans la lagune du Brusc signale :

  • Des eaux relativement claires et oxygénées
  • Une richesse en microfaune (petites proies)
  • Un habitat avec des cavités ou des herbiers en bon état

Sa disparition progressive d’un site peut être un signe de déséquilibre écologique, souvent causé par :

  • La destruction de son habitat (bétonisation, ancrages, arrachage d’herbiers)
  • La pollution des eaux
  • Une pression de pêche mal régulée

À ce titre, protéger le serran chevrette, c’est protéger tout un écosystème fragile et précieux.


Une espèce sensible à la surfréquentation

Même s’il n’est pas une cible directe de la pêche, le serran chevrette souffre indirectement de la surfréquentation humaine. Dans la lagune du Brusc, les menaces sont réelles :

  • Les piétinements dans les herbiers lors de la mise à l’eau des paddles ou des kayaks
  • Le dérangement par les engins nautiques dans les zones peu profondes
  • La pollution sonore et lumineuse, qui altère ses comportements naturels

L’association Lei Bruscadou milite depuis plusieurs années pour la pose de ganivelles, la canalisation des mises à l’eau et la sensibilisation des usagers, afin de préserver ces espèces discrètes mais essentielles.


Un poisson parfait pour apprendre à observer

Si vous vous promenez en snorkeling dans la lagune ou près des rochers du Gaou, ouvrez bien l’œil : le serran chevrette est souvent là, à l’ombre d’une pierre ou frôlant les herbiers.

Pour le repérer :

  • Cherchez les reflets orangés et bleutés
  • Restez immobile, sans bruit, et laissez venir la curiosité du poisson
  • Évitez les mouvements brusques

Et surtout, admirez sans toucher. Car même un petit poisson comme le serran chevrette mérite toute notre attention.


Un ambassadeur discret d’un monde à protéger

Le serran chevrette n’est ni un super-prédateur, ni une espèce emblématique comme l’hippocampe. Et pourtant, il joue un rôle essentiel :

  • Dans la chaîne alimentaire locale
  • Comme proie et prédateur
  • Comme indicateur de la santé de nos côtes

Il incarne cette biodiversité “ordinaire” qu’on oublie trop souvent, mais qui fait toute la richesse des lagunes comme celle du Brusc.

Alors, en le rencontrant lors d’une balade ou d’une plongée, ayez une pensée pour ce petit poisson qui vit sa vie tranquille, en équilibre fragile dans un monde que nous devons apprendre à mieux respecter.