đ Repeupler les hippocampes : une mission dĂ©licate dans la lagune du Brusc

Dans les eaux discrĂštes et paisibles de la lagune du Brusc, Ă Six-Fours-les-Plages, vit une crĂ©ature aussi fragile que fascinante : lâhippocampe mouchetĂ© (Hippocampus guttulatus). Ce petit animal emblĂ©matique de la MĂ©diterranĂ©e, Ă lâallure presque mythique, est aujourdâhui devenu un indicateur prĂ©cieux de la santĂ© des milieux cĂŽtiers. Mais il est aussi en danger.
La lagune du Brusc abritait autrefois une population stable dâhippocampes. Aujourdâhui, ces habitants paisibles sont devenus rares, menacĂ©s par la dĂ©gradation de leur habitat. Face Ă ce constat, des actions de suivi, de protection et de repeuplement ont Ă©tĂ© mises en Ćuvre pour donner une seconde chance Ă ce trĂ©sor vivant.
Lâhippocampe mouchetĂ© : un habitant discret et vulnĂ©rable
Contrairement Ă ce que lâon pourrait croire, lâhippocampe nâest pas un poisson exotique rĂ©servĂ© aux mers lointaines. Il est bien prĂ©sent dans les eaux françaises, notamment dans les zones calmes et abritĂ©es comme les lagunes, les herbiers de cymodocĂ©e et de posidonie, ou les zones rocheuses peu profondes.
Dans la lagune du Brusc, on retrouve principalement lâhippocampe mouchetĂ©, reconnaissable Ă son museau allongĂ©, ses petites nageoires dorsales, et surtout ses taches argentĂ©es qui lui donnent un aspect âpoussiĂ©reuxâ. Il mesure gĂ©nĂ©ralement entre 12 et 16 cm.
Mais sa survie dĂ©pend entiĂšrement de la qualitĂ© de son habitat. Câest un animal sĂ©dentaire, qui se fixe aux plantes sous-marines grĂące Ă sa queue prĂ©hensile. Il est donc particuliĂšrement sensible Ă la destruction des herbiers, Ă lâaugmentation de la turbiditĂ© de lâeau, ou aux perturbations causĂ©es par la navigation.
La lagune du Brusc, un ancien refuge en péril
Autrefois, la lagune du Brusc Ă©tait un lieu privilĂ©giĂ© pour les hippocampes. Lâenvironnement calme, riche en herbiers et en cachettes, offrait des conditions idĂ©ales pour lâalimentation, la reproduction et la protection des juvĂ©niles.
Mais au fil des annĂ©es, ce fragile Ă©quilibre a Ă©tĂ© rompu. La disparition de 30 hectares de cymodocĂ©e entre 2004 et 2014, lâenvasement, la pollution et les perturbations humaines ont contribuĂ© Ă la rarĂ©faction des hippocampes dans la lagune. Les observations se sont faites de plus en plus rares, et les scientifiques ont tirĂ© la sonnette dâalarme.
Connaßtre pour protéger : les suivis scientifiques
Pour mieux comprendre lâĂ©tat des populations dâhippocampes dans la lagune du Brusc, plusieurs programmes de suivi ont Ă©tĂ© lancĂ©s, notamment par lâInstitut ocĂ©anographique Paul Ricard, en lien avec des plongeurs bĂ©nĂ©voles, des biologistes et des associations.
Ces suivis consistent Ă :
- Repérer et identifier les individus (taille, sexe, ùge estimé) ;
- Noter leur comportement, leur localisation, leurs interactions avec lâenvironnement ;
- Cartographier les zones de présence ;
- Ăvaluer lâĂ©tat de leur habitat (qualitĂ© des herbiers, sĂ©diments, tempĂ©rature de lâeau…).
Ces donnĂ©es permettent dâĂ©valuer lâimpact des actions de restauration menĂ©es dans la lagune, notamment dans le cadre du projet SAR-LAB, et dâadapter les stratĂ©gies de gestion.
Repeupler avec prudence : un travail de longue haleine
Le repeuplement des hippocampes nâest pas une opĂ©ration simple. Il ne suffit pas dâintroduire des individus Ă©levĂ©s en captivitĂ© pour rĂ©tablir une population : cela nĂ©cessite une reconstruction de lâhabitat, une approche scientifique rigoureuse, et une extrĂȘme prudence.
Dans la lagune du Brusc, les efforts de repeuplement passent dâabord par la restauration de lâĂ©cosystĂšme : les herbiers de cymodocĂ©e doivent ĂȘtre rĂ©implantĂ©s (comme dans le cadre du projet SAR-LAB), les zones de tranquillitĂ© renforcĂ©es, et les pressions humaines limitĂ©es.
Dans certains cas, des hippocampes nĂ©s en captivitĂ© peuvent ĂȘtre relĂąchĂ©s, mais uniquement dans des zones bien prĂ©parĂ©es, aprĂšs des tests et un suivi attentif. Ces relĂąchers sont encore expĂ©rimentaux, mais offrent des perspectives intĂ©ressantes pour rĂ©introduire lâespĂšce lĂ oĂč elle a disparu.
Sensibiliser pour impliquer
Un autre volet fondamental du repeuplement des hippocampes dans la lagune du Brusc, câest la sensibilisation du public. Beaucoup de visiteurs ignorent que des hippocampes vivent (ou vivaient) ici. Dâautres, mal informĂ©s, peuvent dĂ©ranger involontairement ces animaux fragiles en nageant ou en jetant lâancre trop prĂšs des herbiers.
Des panneaux dâinformation, des balades Ă©ducatives, ou encore des expositions temporaires sont rĂ©guliĂšrement organisĂ©s, notamment par lâInstitut ocĂ©anographique Paul Ricard. Des campagnes de sensibilisation Ă destination des plongeurs et photographes sous-marins rappellent aussi les rĂšgles Ă respecter : ne pas toucher, ne pas dĂ©placer, ne pas dĂ©ranger.
Car lâhippocampe est une espĂšce protĂ©gĂ©e, et son observation doit toujours se faire dans le respect total de son bien-ĂȘtre.
Un symbole fragile, une responsabilité partagée
Lâhippocampe mouchetĂ© nâest pas seulement un joli poisson. Il est un indicateur Ă©cologique, un symbole de la MĂ©diterranĂ©e, et dans la lagune du Brusc, un ambassadeur de la fragilitĂ© des milieux cĂŽtiers. Le voir revenir, câest le signe que lâĂ©cosystĂšme se rĂ©tablit. Le perdre, câest un signal dâalerte.
GrĂące Ă lâengagement des scientifiques, des gestionnaires, des associations et des citoyens, lâespoir dâun retour durable des hippocampes dans la lagune du Brusc est bien rĂ©el. Mais ce succĂšs dĂ©pendra aussi du regard que chacun portera sur ce petit animal Ă©tonnant. Un regard Ă©merveillĂ©, curieux⊠mais surtout respectueux.